Le regard des proches
Un frère, dans L’Ascension du Haut Mal, de David B., une mère dans Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui lui reprisait ses chaussettes ?, de Zidrou et Roger, un père dans Maria et moi, de Maria et Miguel Gallardo, une sœur, un père et une mère, dans Ted, drôle de coco, d’Émilie Gleason, ce sont autant de regards de proches portés sur l’anomalie familiale. L’anomalie n’est pas la maladie ou le handicap du frère, de la fille ou du fils, c’est la perturbation qu’elle apporte dans le long cours de l’histoire familiale.
Dans L’Ascension du Haut Mal, nous suivons les destins parallèles de deux frères à l’âge de l’enfance et de l’adolescence, l’âge où le corps se transforme ainsi que la psyché, la relation aux parents… Témoin de la destruction lente de ce frère malade qui semble emprisonné dans un monde physique qui le heurte et l’abîme, l’auteur investit un monde imaginaire, sa voie à lui pour grandir quand même.
L’histoire familiale est mouvement : les enfants naissent et grandissent et les relations interpersonnelles se modifient par la crise ou dans le temps long, les positions et les places de chacun changent… L’anomalie, c’est lorsque le mouvement s’interrompt, lorsqu’un des corps de la famille reste figé, qu’il n’est plus entraîné par l’histoire familiale. C’est ce qui arrive à la famille de Ted, drôle de Coco, confrontée au corps de Ted, qui se répète infiniment dans ses grands mouvements géométriques. Et c’est toute la famille qui doit s’y mettre pour contenir ce corps qui gesticule à l’heure d’aller au bain. Ted n’est plus un enfant, et son corps d’adulte est bien difficile à maîtriser, renvoyant père, mère et sœur au recommencement de l’enfance.
Selon un schéma comparable, c’est encore un enfant dans un corps d’adulte qui est mis en scène par Zidrou et Roger dans Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui lui reprisait ses chaussettes ? Sa mère, seule, s’occupe de cet énorme bébé aux besoins d’adulte. L’histoire familiale est arrêtée ici aussi, enfermée dans une enfance éternellement recommencée, heureusement nourrie par un amour filial et maternel intarissable. Le même amour fusionnel qui conduit le père de Maria dans Maria et moi à sentir sur lui le regard que les autres portent sur sa fille différente, qu’elle-même ne semble pas ressentir.
Le regard des proches
Tiphaine Gantheil
© Gantheil Illustration 2022